Rien ne se perd, tout se crée… Le démarrage d'entreprise!
Lisez le premier paragraphe à vos risques et périls! 😉
Attention, attention, je vous conseille fortement d’avoir lu l’article «La petite histoire de Rien ne se perd, tout se crée… Une vieille histoire d’amitié!» avant de vous aventurer dans celui-ci. Si vous ne l’avez pas fait, il va vous en manquer un bout, vous serez désorienté, ne comprendrez pas les insides et les subtils sous-entendus, vous serez peut-être apeuré, ou en panique, et je ne souhaite vraiment pas cela à nos lecteurs. Si vous continuez tout de même la lecture, c’est à vos risques et périls. Donc, voici la suite de notre démarrage d'entreprise!
Un métier à tisser et un projet Jeunes volontaires...
Le lendemain de cette fameuse soirée arrosée dans la cuisine aux rideaux orange de la mère d’Evelyne, on avait dégrisé. Par chance, on se souvenait de notre idée: apprendre à tisser sur un métier à tisser traditionnel. On avait 21 ans. On est donc allées frapper à la porte du Carrefour Jeunesse-emploi de la MRC de Maskinongé à Louiseville. Annie Darveau nous a alors renseignées sur le programme Jeunes volontaires, qui existe heureusement toujours et qui est soutenu par Emploi Québec.
Jeunes volontaire s’adresse aux jeunes âgés de 16 à 29 ans qui ont une idée dans un domaine quelconque: musique, jardinage, photographie, sciences, littérature, etc. Pour notre part, on avait décidé d’apprendre à tisser mais aussi d’apprendre d’autres techniques de métiers d'art textiles traditionnelles: le tricot au crochet, la teinture de la laine, la ceinture fléchée, le feutrage et le filage au rouet de la laine, la chèvre angora, la soie, le coton mais aussi le lapin angora, le chien et le chat! On a même essayé de filer de la mousse de sécheuse et de nombril! 😉
On a monté notre dossier et avons été acceptées. Notre projet devait durer 6 mois au départ, d’octobre 2003 à mars 2004, et ne s’appelait pas encore Rien ne se perd, tout se crée… On s’était trouvé des professeurs pour nous enseigner ces techniques et un local à St-Sévère, dans lequel on est d’ailleurs toujours installées, afin de monter notre métier à tisser. Michelle Beauregard, de St-Élie-de-Caxton, venait nous enseigner les rudiments du tissage une fois par semaine. Fred Pellerin nous a montré comment faire de la ceinture fléchée, Micheline Wagner-Deschênes nous a appris à tricoter au crochet et Diane Gonthier, de la Ferme La butte magique à St-Faustin nous a donné les cours de filage, teinture et feutrage.
On doit l’avouer, à ce moment-là, notre but n’était vraiment pas de fonder une entreprise mais bien plus d’avoir du fun à apprendre tout cela! On était loin d’avoir des visées à long terme! À la fin de notre projet, on a monté une exposition dans notre local de St-Sévère dans laquelle nous avons invité tous nos profs à venir faire des démonstrations avec nous. On avait rédigé un communiqué de presse qui avait attiré plus de 300 personnes. Pas mal pour un village du même nombre!
Des jeunes plein de motivation!
En avril 2004, on était donc rendues à la croisée des chemins: j’ai 20 ans, qu’est-ce que je fais? Qu’est-ce que je fais? Je m’arrête ou je continue? J’ai 20 ans, où j’en suis? À la fin ou au début? On a plutôt choisi le dernier mot de cette fameuse chanson de Plastic! On s’est dit que ça serait un peu twit d’avoir acquis du matériel (on était maintenant rendues à 2 métiers à tisser et un petit inventaire de fil) et des connaissances et de passer à autre chose.
En 6 mois, nous avions tissé des liens (avez-vous vu la subtilité de mon écriture?!) avec des artisans qui nous avaient incités à continuer et à nous inscrire à des salons des métiers d’art. C’est donc ce que nous avons fait. On s’est inscrites et avons été acceptées à ceux de Joliette et Trois-Rivières qui se déroulaient en novembre et décembre 2004. Toute l’année durant, on était vraiment motivées. Nos amis nous appelaient pour aller voir des spectacles ou aller à des partys et souvent on refusait: «On ne peut pas, on tisse!». Réponse assez inhabituelle pour des jeunes de 21 ans! 😉
Evelyne a toujours été une élève modèle dotée d’une mémoire incroyable. Elle se souvenait donc de ses cours de coutures d’économie familiale. Il faut dire qu’elle s’était pratiquée abondamment; c’est elle qui faisait les bords de pantalon de ses 5 frères et sœurs et de sa mère! On tient à remercier sa mère d’ailleurs qui nous avait prêté sa vieille machine à coudre afin de finir les bords de nos linges à vaisselle! On a donc consacré l’année 2004 à monter un inventaire pour participer à ces 2 salons des métiers d’art qui se sont vraiment bien déroulés, où nous avons été très bien accueillies. Les artisans et visiteurs étaient intrigués de voir 2 jeunes femmes de 21 ans faire du tissage. Plusieurs pensaient d’ailleurs que c’était nos grands-mères qui avaient tissé notre inventaire! C’est donc motivées mais sans le sous que l’on s’est retrouvées à nouveau, au début 2005, à boire de la bière dans la cuisine aux rideaux orange de la mère à Evelyne!
L'officiel démarrage d'entreprise...
On s’est donc dit qu’il devait bien exister une subvention pour aider les entrepreneurs en démarrage d'entreprise. C’est donc vêtue de jeans troués et sales (je revenais de peinturer je crois et je vous ne conseille pas de vous habiller ainsi!) que je suis allée cogner à la porte de la SADC de la MRC de Maskinongé. Il y avait justement une subvention salariale nommée Fonds AFER issue d’un projet pilote qui n’avait pas toute été dépensée à La Tuque et qui avait été rapatriée à Louiseville. La date limite pour remplir le petit formulaire qui allait nous permettre de passer à la prochaine étape était dans… 2 jours! Cette subvention s’adressait justement aux jeunes femmes désireuses de démarrer une entreprise en campagne dans les produits du terroir. Disons que sur ce coup, on a eu de la veine! On a rempli le formulaire et avons été acceptées pour la seconde étape: la rédaction d’un plan d’affaires.
Un démarrage d'entreprise, ça passe souvent par un plan d'affaires...
Lorsque l’on pense à quelque chose d’excitant et d’agréable à faire, rédiger un plan d’affaires et faire des prévisions financières doivent sûrement se retrouver en position 2641! Combien allait-on vendre de linges à vaisselle en 2008 et de foulards en 2010? Hum, difficile à dire! Par contre, ça nous a permis de nous poser des questions sur notre projet. De réfléchir à la faisabilité, à la rentabilité de nos produits, à notre clientèle, etc. Il faut dire que l’on a aussi été épaulées par les intervenants sociaux-économiques de la SADC et du CLD de la MRC de Maskinongé. Un mal pour un bien car cela nous permis de décrocher le maximum de la subvention AFER: 25 000$. Pour nous, c’était comme remporter le gros lot de la loto 6/49! Malheureusement, le Fonds AFER n’existe plus mais a été remplacé par d’autres programmes. Contactez les organismes de votre région, ils sont les mieux placés pour vous aider!
J’étais aussi éligible à la subvention Soutien au travail autonome (pour vous encourager, celle-là existe toujours!). Cette subvention d’Emploi Québec est là pour fournir l’équivalent du salaire minimum pendant un an pour aider les gens qui veulent démarrer leur entreprise ou qui désirent devenir travailleur autonome et consacrer tout leur temps à leur projet au lieu d’être obligés de travailler à l’extérieur en parallèle. Evelyne n’étant malheureusement pas éligible, on lui avait versé l’équivalent d’un salaire minimum pendant un an issu de la subvention de 25 000$ que l’on avait obtenu. Il nous restait donc environ 10 000$ à dépenser judicieusement.
Avec ce 10 000$, on s’est fait faire un site internet modeste, avons fait construire un kiosque d’exposition afin de mieux présenter nos créations, avons acheté une petite remorque fermée afin de trimballer le kiosque d’exposition qui ne rentrait plus dans nos voitures(!), avons acheté deux machines à coudre semi-professionnelles ainsi qu’une surjeteuse (avons par le fait même dit adieu à la vieille machine à coudre de la mère à Evelyne), avons acheté un autre métier à tisser et du fil afin de réaliser foulards, linges à vaisselle, tapis, sacs, etc!
Pourquoi avoir choisi le nom Rien ne se perd, tout se crée...?
Début 2005, on a donc inscrit Rien ne se perd, tout se crée… au Registraire des entreprises du Québec. Je vois les points d’interrogation dans vos yeux et je sens que vous êtes sur le bord de nous appeler pour nous demander cette fameuse question: «Pourquoi avoir choisi ce nom-là?!». Premièrement, c’était un clin d’œil au fait que nous étions toutes les 2 assez douées pour les sciences. Le chimiste Antoine Lavoisier a dit Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. On s’est dit que puisque tout se transformait, on avait bien le droit de transformer sa loi! On trouvait cela négatif rien ne se crée… Le nom prenait aussi son sens avec le fait que l’on faisait du tissage, rien ne se perd, pas même les traditions. Évidemment, j’espère que vous comprendrez la seconde partie de la phrase : tout se crée…!
Réduire notre empreinte écologique au maximum!
Depuis nos débuts, nous avons toujours eu la protection de l’environnement à cœur et on s’est toujours donné comme mission de perdre le moins possible. C’est pourquoi nos lavettes à vaisselle sont faites à partir de nos retailles de fils de tissage et que nous utilisons nos plus petits bouts de tissus afin de faire nos cartes de souhaits, porte-monnaie ou parties sur nos mitaines. L’utilisation du coton biologique est aussi fort importante pour nous car sa culture sans pesticides ni engrais de synthèse est bénéfique pour l’environnement et les travailleurs des champs de coton contrairement à la culture conventionnelle du coton. De plus, tous les papiers et cartons que nous utilisons sont faits de fibres recyclées. Vous comprenez mieux maintenant le sens de notre nom?
Filer un bon coton!
Dans les premières années, on a donc développé notre réseau de points de vente en boutique et avons participé à bon nombre d’événements afin de se faire connaître. Quand on est en démarrage d'entreprise, on a parfois tendance à s’éparpiller car on a peur de ne pas arriver financièrement. C’est un peu ce que nous avons fait à nos débuts et avec le recul, je me dis que c’était bien correct ainsi car cela nous a permis d’explorer et de voir ce qui nous plaisait vraiment! Pendant les premières années, on avait donc parti un service de démonstration de filage au rouet!
On contactait donc des organisations comme les Fêtes de la Nouvelle-France à Québec, le Festival des traditions du monde, événements historiques, musées et expositions agricoles afin de leur offrir nos services! Et cela fonctionnait! On arrivait souvent costumées style Nouvelle-France avec une capine sur la tête, un corset, un rouet et de le laine afin de montrer aux passants comment on cardait et filait la laine anciennement. De fil en aiguille(!), les collections que l’on élaborait ont pris plus d’ampleur et l’on a tranquillement délaissé le service de filage au rouet.
Subvention de la SODEC
Après avoir reçu la subvention du Fonds AFER et du Soutien au travail autonome, nous avons volé de nos propres ailes. Étant dans le domaine des métiers d’art, on peut par contre bénéficier du programme d’aide aux artisans et aux entreprises en métiers d’art de la SODEC. Cela nous permet de recevoir une petite aide financière pour participer à des événements professionnels reconnus en métiers d’art tels Plein art Québec et le Salon des métiers d’art de Montréal. Grâce à cette subvention, nous pouvons aussi recevoir de l’aide pour acheter une partie du matériel tel machines à coudre, fers à repasser, ordinateurs, etc.
Passer des accessoires aux vêtements!
En 2007, dans le but d’évoluer et de connaître un autre monde, on a réalisé notre première collection de vêtements. Jusqu’à présent, on se consacrait uniquement aux accessoires. Cette première collection avait été dessinée en collaboration avec la designer Annie Gélinas et comprenait seulement deux modèles pour femmes et un pour homme. La particularité de ces vêtements est qu’ils étaient entièrement faits de tissage fait à la main sur nos métiers à tisser.
C’est la seule collection que l’on a fait ainsi et ce pour plusieurs raisons : le tissage fait-main, c’est très long à faire et cela était nullement rentable, il n’aurait donc jamais été question éventuellement de vendre nos vêtements en boutique! Le tissu tissé, malgré qu’il était en coton biologique était tout de même trop chaud pour l’été et ne nous aurait pas permis de faire une collection printemps-été entièrement composé de tissage. Finalement, ce tissu, bien qu’il soit résistant, n’est pas extensible, donc moins confortable et cela faisait en sorte que l’on devait tailler les manches sur le biais. On avait donc énormément de pertes.
L'équipe s'agrandit!
Désireuses de continuer à faire des vêtements, on s’est donc mis à faire des tests pour combiner notre tissage avec divers tissus commerciaux. Et cela a été concluant! En 2010, nous avons eu la chance de rencontrer la talentueuse et créative Nicole Beauchemin, notre première employée, qui est toujours avec nous. En tant que designer de mode et patronniste, Nicole a travaillé pour plusieurs compagnies de renom tel Marie Claire, Louis Garneau, le Château et a eu sa propre compagnie Beauchemin Plein air qui vendait ses manteaux à nombre de grandes chaînes de magasins. C'est donc grâce à elle que Rien ne se perd, tout se crée... a si bien évolué depuis 2010, que l'on est rendues où nous sommes et que l'on continue de progresser, toujours en ayant le privilège de l'avoir dans notre équipe.
Un an plus tard, lorsqu’Evelyne est tombée enceinte pour la première fois, nous avons engagé Hélène Bournival, qui est aussi toujours avec nous 5 ans plus tard. Ces 2 femmes d’exception nous ont permis de grandir, d’évoluer, d’acquérir trucs et expériences et de professionnaliser nos créations et nous leur en sommes infiniment reconnaissantes. Evelyne étant retombée enceinte à deux autres reprises depuis et puisque l'on est en pleine croissance, on a engagé 4 autres personnes et des couturières à domicile.
Où trouver les créations Rien ne se perd, tout se crée...?
En 2011, on a refait entièrement notre site internet et lui avons ajouté une boutique en ligne qui nous permet maintenant de vendre à l’international. La même année, on a pu avoir accès à un nouveau local, sur le même pallier que notre atelier. On y a donc aménagé notre boutique, qui est maintenant ouverte 365 jours par année, de 10h à 17h. On est fières d’y accueillir de nombreux touristes et visiteurs alors qu’il y a 13 ans, lorsque l’on a débuté, personne n’aurait pu prédire qu’autant de gens se déplaceraient à St-Sévère!
On participe toujours à quelques expositions : Plein art à Québec en août, Salon des métiers d’art de Montréal en décembre ainsi que le réseau des Braderie de la mode québécoise de Gatineau, Montréal et Québec qui se tiennent 2 fois par année, au printemps et à l’automne et qui nous permettent de vendre en solde les collections antérieures. Avec les années, on a développé notre réseau de distribution en boutique. Nous avons plus de 80 points de vente à travers le Québec et l’Ontario. On crée, fabrique et distribue maintenant 2 collections de vêtements par année qui s’adressent à des femmes de tous âges et aux silhouettes fort variées.
Avec le recul, lorsque nous arrêtons pour penser, on n’en revient parfois même pas d’en être rendues là! Rien ne nous prédestinait à avoir une entreprise dans ce domaine. Nous sommes fières de fournir de l’emploi à 8 personnes à l’atelier et à une douzaine de couturières à domicile et ravies d’être restées dans ce formidable village qu’est St-Sévère et que nos créations soient entièrement fabriquées au Québec.
La clef de la réussite réside dans le travail acharné, la passion, le désir de se dépasser et d’innover sans cesse. Dans notre cas, c’est aussi le fruit d’un travail d’équipe, d’un duo extrêmement complémentaire qui sait se faire confiance et se respecter. Et dire que tout cela a parti avec une idée naïve amenée lors d’une soirée arrosée dans la cuisine aux rideaux orange de la mère d’Evelyne! En espérant que cet article vous a plu ou que cela vous aide pour votre démarrage d'entreprise!